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A la rencontre de Johann Mourier

  • Photo du rédacteur: Matteo Maurel
    Matteo Maurel
  • 17 mars
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 avr.

Pouvez vous nous expliquer votre parcours ?


J’ai un parcours un peu particulier, car j’ai fait une classe préparatoire BCPST Bio pour intégrer une école d’ingénieur en agronomie à Bordeaux (je ne suis pas passé par l’Université qui est la voie la plus commune). J’ai fait ma dernière année de spécialité en halieutique à Rennes dans laquelle j’ai pu partir en stage de fin d’études pour étudier le grand requin blanc pendant 6 mois en Afrique du Sud. J’ai ensuite effectué un Master 2 pour pouvoir avoir accès aux bourses de thèse. J’ai donc poursuivi en thèse pour étudier les requins en Polynésie française (2008-2011). J’ai ensuite enchaîné des contrats (post-docs) pendant 10 ans avant d’être finalement recruté sur une chaire de professeur junior à l’Université de Montpellier en 2022 et rattaché au laboratoire MARBEC à Sète.


Qu'est-ce qui vous a motivé à vous spécialiser dans l'étude des requins ?


C’est un rêve d’enfance, une fascination et une curiosité nées de mon plus jeune âge, à tel point qu’il est difficile pour moi de savoir quel a été l’élément déclencheur… Moi le petit lyonnais si loin de la mer, mais qui a eu la chance d’avoir des parents qui lui ont mis un masque et un tuba dès qu’il savait nager afin de découvrir la faune des plages du sud de la France. Est-ce venu d’une première rencontre avec un requin lors de la visite d’un aquarium ? En-tout-cas, mon premier visionnage du film « Les dents de la mer » de Steven Spielberg n'a fait que renforcer ma curiosité envers ces créatures marines craintes, mais méconnu. Dès le collège, je faisais déjà des recherches bibliographies assez poussées afin de recueillir le maximum d’information sur les requins et de satisfaire ma curiosité.

Johann Mourier avec un Requin citron (Negaprion acutidens) photo par Frederic Buyle
Johann Mourier avec un Requin citron (Negaprion acutidens) photo par Frederic Buyle

Y a-t-il un moment marquant ou une découverte dans votre carrière qui vous a particulièrement marqué ?


Difficile de résumer une carrière à un moment marquant, mais si je devais en choisir un, ce serait ce qui a fait le socle de l’originalité de mes travaux de recherche : la découverte que les requins étaient capables de comportements collectifs et sociaux plus complexes que ce qu’on ne l’imaginait. Sinon, le moment qui m’a le plus marque en plongée est d’avoir assisté à la chasse d’un requin gris (environ ma taille) par un grand requin marteau lors d’une plongée de nuit à juste une dizaine de mètre de moi et de ma palanquée dans la pénombre…. Une sensation bizarre, un mélange de crainte et de fascination, un pur moment sauvage qui nous remet un peu à notre place dans ce monde ! On se sent tout petit ! Inoubliable !


Quelle est l'espèce de requin la plus incroyable pour vous et pourquoi ?


Difficile de mettre une espèce particulière en avant, car pour moi, c’est bien la diversité des requins qui est incroyable. Les requins sont représentés par plus de 500 espèces qui ont colonisé l’ensemble des biotopes marins (et même certaines rivières pour de rares espèces) et qui ont des formes et rôles écologiques très diverses. Chacun a sa spécificité et son originalité. Certains comme le requin du Groenland détiennent des records de longévité (vivant plus de 200 ans) mais pas des records de vitesse qui est plutôt celui du requin Mako pouvant nager à plus de 75 km/h. Certains comme le requin lancette sont adaptés pour vivre en eau douce, alors que d’autres sont capables de fluorescence comme le requin-houle ou de bioluminescence comme les sagres. Bref, difficile d’avoir une préférence pour une espèce tant chacune est fascinante.


Comment sensibiliser davantage le grand public à l'importance des requins dans les océans ?


Pour moi, il faut justement présenter les requins au travers leur diversité. Un requin n’est pas simplement un grand requin blanc. Présenter des espèces moins connues, mais tout aussi intéressantes et passionnantes permet de mieux se rendre compte de l’importance de ce groupe taxonomique pour les océans. Ils ont certes un rôle écologique important pour l’équilibre de nos océans, mais ils ont aussi des rôles économiques et culturels non-négligeables pour nos sociétés. S’ils ont vu le jour il y a plusieurs millions d’années et ont su s’adapter parfaitement à leur environnement, ils sont pourtant devenus très vulnérables aux activités humaines, principalement la pêche sous la forme de prises accessoires (c’est-à-dire n’étant pas la cible de la pêche). Ce sont leurs traits de vies et leurs stratégies évolutives qui les rendent vulnérables à une exploitation trop intense : c’est le cas notamment de leur longévité (certaines espèces peuvent vivre plusieurs dizaines d'années), leur maturité tardive (la plupart des espèces ne sont pas matures avant d’atteindre l’âge de 10 ans et si on les pêche avant ils ne pourront donc pas se reproduire) et une faible fécondité. Ces faiblesses réduisent les capacités de leurs populations à se renouveler plus rapidement que leur exploitation. Il est donc important de sensibiliser le grand public au travers de reportages et documentaires plus proches de la réalité et plus représentatifs de cette diversité. Il faut aussi utiliser davantage d’outils de la médiation scientifique afin de toucher un public plus large (Ex : bande dessinée, réalité virtuelle, livres, art…). En tant que scientifiques, nous avons aussi notre contribution à apporter à cet effort de médiation, surtout à l’heure où la désinformation n’a jamais été aussi importante. De plus, la science n’a d’intérêt et de sens que si elle est partagée.

Requin pointes noires (Carcharhinus melanopterus) et Raie pastenague à queue courte (Pateobatis fai) par Johann Mourier
Requin pointes noires (Carcharhinus melanopterus) et Raie pastenague à queue courte (Pateobatis fai) par Johann Mourier

Quelles sont les principales menaces pesant sur les populations de requins aujourd'hui ?


Aujourd’hui, c’est la surpêche qui est la principale cause de déclin des populations de requins. Certaines populations de requins sont ciblées par la pêche pour la consommation ou pour la vente de leurs ailerons. Mais cette pêche ciblée est plutôt déclinante ces dernières années. En revanche, la cause de mortalité la plus importante est celle liée aux prises accessoires, lorsque les requins sont un dommage collatéral d’une pêche qui ne les cibles pas directement. De nombreux spécimens d’espèces pélagiques sont pris dans les engins de pêche, notamment ceux de la pêche au thon comme les sennes (filets) ou par les hameçons des palangriers et en meurt. On peut ensuite rajouter la destruction de nombreux habitats essentiels et d’autres pressions comme le changement climatique. Toutes ces pressions sont à l’origine d’un déclin de 50 à 80 % des population ces 50 dernières années, résultant au constat alarmant d’une tier (>30%) des espèces de requins étant menaces d’extinction.


Pensez-vous que les mesures de protection actuelles sont suffisantes ? que peut on améliorer ?


Depuis plusieurs années, les mesures de protection se sont améliorées et les contrôle se sont renforcés ce qui a même permis à certaines populations de se reconstruire progressivement, mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Je pense que la sensibilisation autour de cette problématique est primordiale. C’est en changeant nos pratiques et habitudes, déjà à l’échelle du citoyen que l’on peut commencer à transformer nos impacts sur la vie sauvage. Mais il faut aussi renforcer le contrôle des pêches et surtout innover pour trouver des solutions durables qui permettent aux sociétés humaines de conserver leur activité tout en maintenant la conservation des requins. Il s’agit de co-exister.


Quel conseil donneriez-vous à quelqu'un qui souhaite se lancer dans l'étude ou la conservation des requins ?


Il faut d’abord se rendre compte qu’il y a de nombreuses approches pour contribuer à la conservation des requins. Il faut certes de la recherche, qui permet de consolider nos connaissances sur ces organismes, connaissances indispensables pour construire des plans de gestions adaptés et efficaces pour leur conservation. Mais il existe bien d’autres moyens de participer à cet effort, que ce soit au travers de métiers de la gestion et conservation, de la législation, mais aussi de l’associatif, de l’éducation et de la médiation. Il y en a pour tout le monde. Simplement participer à limiter la désinformation et faire mieux connaitre les requins et les enjeux qui les touchent est déjà une contribution importante. Dans tous les cas, il faut être motivé, passionné, persévérant et curieux.

Requin gris de récif (Carcharhinus amblyrhynchos) par Johann Mourier
Requin gris de récif (Carcharhinus amblyrhynchos) par Johann Mourier

Connaissez-vous des mythes ou légendes culturels sur les requins qui vous inspirent ou vous intriguent ?


Ayant effectué ma thèse dans le Pacifique, j’ai toujours eu cette fascination pour la relation culturelle et spirituelle que les différents peuples du Pacifique avaient avec le requin. Cette relation se matérialise sous différentes formes selon les peuples, mais il y a toujours une forme de respect profond pour ces prédateurs avec qui ils partagent le milieu marin, avec toujours cette volonté de coexistence plutôt que de conflit. Je crois qu’on a beaucoup à apprendre de la dimension culturelle que porte le requin au travers des peuples avec qui ils ont partagé l’espace.


Quels sont vos projets futurs ?


L’idée est toujours d’en apprendre un peu plus sur les comportements et l’écologie des requins au travers d’analyses de données de projets que j’ai déjà mené, ou en développant d’autres projets. Après avoir passé beaucoup de temps à étudier les requins et raies dans le Pacifique, je m’oriente dorénavant sur l’Océan Indien ainsi que la Méditerranée qui est si proche de nous et pourtant au sein de laquelle les requins ont été si peu étudiés. J’ai notamment de nouveaux projets sur les raies sur nos côtes, ainsi que des espèces rares comme l’ange de mer ou la raie guitare qui ne sont présentes que dans de rares refuges en Méditerranée. Je me suis aussi lancé dans un projet qui me pousse un peu en dehors de ma zone de confort, à l’interface entre l’écologie et les sciences humaines afin de mieux comprendre la relation entre l’homme et le requin, notamment autour de la pêche et comment on peut utiliser ces perceptions pour améliorer nos méthodes de gestion et de conservation de ces espèces tout en maintenant les activités humaines. Il s’agit de transformer les conflits en coexistence. Enfin, je continue à essayer de creuser le mystère du comportement collectif et social chez ces organismes, un domaine qui me fascine et qui a servi de socle à mes premières recherches.



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